Abdelb@sset
Admin
Institut/Ville : Lauréat d'IFCS Ouarzazate
Nombre de messages : 2011
Age : 38
Localisation : : Marrakech
Emploi/loisirs : : IDE Polyvalent - Centre d'Onco-hématologie; CHU MOHAMED VI , MARRAKECH.
Réputation : 77
 | | Sujet: Histoire de la Lèpre Sam 10 Oct 2009 - 7:03 | |
| Histoire de la Lèpre
(chapitre réalisé avec la collaboration du Docteur Catherine VIENNE-BONNEFOY)
Le mot "lèpre" vient du grec LEPIS qui signifie "écaille" car la peau des lépreux devient épaisse (d'où l'autre nom d'éléphantiasis - peau d'éléphant -) formant comme des écailles. L'histoire de la lèpre telle que nous la connaissons (maladie liée au bacille de Hansen) est assez confuse: pour les anciens, toutes les maladies de la peau qui provoquaient des "écailles" étaient des lèpres. Il en était ainsi d'eczémas, de psoriasis et même du vitiligo (maladie faisant perdre le pigment de la peau et acquérir une peau "comme le veau" d'où son nom). De nos jours la lèpre reste une maladie très répandue dans le monde, malgré les efforts d'éradication (OMS, Fondation Follereau,...). Malgré les traitements efficaces qui existent, le diagnostic de lèpre reste redouté et mal vécu dans notre société...
A. LES ORIGINES DE LA LEPRE : L'ANCIEN TESTAMENT
La lèpre est l'une des maladies les plus anciennement connues. Elle apparait dans la bible... ainsi MOISE, au XIIIème siècle avant Jésus-Christ, sera instruit par l'éternel des rites d'éviction et de purification des lépreux. Cependant le terme de LEPRE reste très flou : il désigne à la fois "toutes taches blanches et squameuses, toutes plaies, toute atteinte à l'intégrité cutanée, toute . Repérer le lépreux vise à arrêter la contagion, confusément pressentie, en excluant le malade de la société, mais aussi à le désigner comme impur. La notion de faute, de culpabilité est déjà présente au même titre que la gonorrhée de l'homme ou les menstruations de la femme.
Le prêtre ou la scarificateur fait le diagnostic : s'il est sûr de lui, le malade est déclaré lépreux, c'est à dire impur. En cas de doute, est accordée une période de 7 jours renouvelables, ce qui est sensé éviter les erreurs de diagnostic ; par exemple, le vitiligo qui ne s'étend pas et n'a pas de plaie est déclaré pur. Mais le vitiligo qui s'étend génère le doute. Et s'il devient généralisé, alors le malade redevient pur, car la dépigmentation totale ne survient jamais dans la lèpre. Une cicatrice dépigmentée après une plaie, si elle reste stable, devient pure. Une teigne qui guérit après rasage devient pure. Une dartre (eczématide) qui guérit spontanément devient pure. C'est de la période d'observation clinique de 7 jours que doit découler l'élimination des erreurs.
Alors le malade est déclaré impur : il a une lèpre invétérée, il habite seul, loin du camp, ses vêtements sont déchirés, il a la tête nue, se couvre la barbe et crie sur son passage "IMPUR, IMPUR". Ainsi un tissu peut être impur, une maison peut être impure.
Mais si le lépreux guérit (erreur de diagnostic ? Lèpre tuberculoïde avec peu de séquelles ?) alors un rite de purification est indispensable pour réintégrer la société. Un oiseau vivant est trempé dans un mélange d'eau et de sang d'un oiseau sacrifié. On asperge 7 fois le lépreux, on relâche l'oiseau. Le malade se rase, attend 7 jours hors de chez lui (certes, il est pur, mais méfiance...?) et puis il se relave... On sacrifie alors un agneau dans le lieu saint (offrande) et son sang est mis sur le lobe de l'oreille gauche, le pouce droit et le gros orteil droit, puis le malade subit une aspersion d'huile sainte. le sacrificateur fait donc l'expiation de l'impur devant l'éternel.
B. L'APRES MOISE...
Mais avançons un peu dans l'histoire...
L'INDE est sûrement l'un des foyers les plus anciens : la maladie sera largement décrite dans le livre de médecine indienne du VIème siècle avant Jésus Christ, la SUSHRUTA SAMHITA... mais l'EGYPTE et les bords du Nil sont probablement le foyer primitif: si l'on se réfère à LUCRECE, poète romain du premier siècle avant Jésus Christ, l'EGYPTE serait le berceau de l'éléphantiasis.
En GRECE au Vème siècle avant Jésus Christ, Hippocrate ne connaissait pas la lèpre : celle-ci était donc toujours cantonnée dans la région de l'INDE, de la CHINE, du JAPON et bien sûr en EGYPTE et au Moyen Orient.
Puis vint l'époque d'Alexandre le Grand et de ses conquêtes, vers 300 avant Jésus Christ... il conquit tout, y compris la lèpre qu'il ramena en GRECE. A cette époque, on ne l'appelait pas lèpre, mais éléphantiasis (Alexandre le Grand fut le premier GREC qui vit des éléphants en Asie). Pourquoi éléphantiasis ? Ceux qui sont atteints ont la peau foncée et pleine de tubérosités comme le cuir de l'éléphant.
Poursuivant son petit bonhomme de chemin, la lèpre atteindra l'ITALIE... avec POMPEE qui, au Ier siècle avant Jésus Christ, la ramènera de ses guerres en Asie et en Grèce. On retrouve toujours dans la bible au début de l'ère chrétienne les traces de la maladie : dans les évangiles, Jésus guérissait les lépreux, quant à la résurrection de LAZARE un certain flou entoure la maladie présentée.
A cette époque, les foyers lépreux se situaient donc au Moyen Orient (en EGYPTE), en INDE, en Asie, dans le monde Gréco-Romain et bientôt dans le bassin méditerranéen où elle reste sporadique.
ARETEE au premier siècle après Jésus Christ, fait une description très précise de la lèpre qu'il appelle éléphantiasis ou léontiasis, les rides et plis évoquant l'aspect du lion, ou satyriasis à cause, dit-il, de la rougeur des joues et de l'ardeur des désirs vénériens qui s'observent chez ces malades... Cette association de la maladie et de l'ardeur des désirs dits vénériens dont il reparle après est curieuse, elle ne repose sur aucune base scientifique, elle est éminemment subjective, comme si "le malade était possédé par une bête malfaisante et lubrique"... pourquoi?
Les tumeurs et nodosités sont décrites avec beaucoup de détails, la dépilation progressive est notée, les troubles trophiques notamment des pieds (sans qu'ils soient rapportés à l'atteinte nerveuse), les amputations spontanées des extrémités sont décrites comme des morts partielles avant la mort générale. On insiste sur la longueur d'évolution de la maladie avec la dégradation progressive. On dit que "le pouls est petit, lent, lourd, comme si un liquide boueux circulait lentement dans les vaisseaux". Il n'y a pas de distinction entre lésion d'origine tuberculeuse et lépromateuse.
C. LE MOYEN AGE
Au début du XIème siècle, les Turcs envahirent Jérusalem qui était sous protection Arabe. Les musulmans toléraient les pélerins chrétiens, mais non les Turcs. Or, le pélerinage en Terre Sainte était de la plus haute importance: il fallait donc libérer Jérusalem, d'où les croisades du XIIème siècle... et les pélerins ramenèrent la lèpre en Europe.
On assista alors à l'éclosion d'une véritable endémie lépreuse au XIIIème siècle en Europe, sur fond de pauvreté et d'hygiène défectueuse. Deux phénomènes sont intéressants : l'exclusion des lépreux avec la création des léproseries,... et les bénéfices secondaires religieux, si l'on peut dire, que vont en tirer les riches en bonne santé, à savoir la "conquête du paradis" par le biais de l'aide aux lépreux.
En effet, il faut bien comprendre l'identité et le statut du lépreux à cette époque : il est impur, il doit expier une faute (quelle faute ?) : la lèpre est certes une punition, mais aussi un don de Dieu; le lépreux a été remarqué, d'autant qu'il a parfois ramené sa maladie de son pélerinage, il a été "distingué". Il est une image vivante du Christ souffrant. On le craint, il suscite le dégoût, mais il est vénérable.
On suit l'enseignement de Moïse, mais on l'affine avec le rituel du "separatio leprosum" préconisé par l'édit du Rothari en 643 après Jésus Christ.
Certes, le malade est remarqué de Dieu, mais il est mort pour la société, il va donc être exclu (mise "hors le siècle"). Le rituel des morts sera célébré, suivi de la bénédiction des ustensiles. Chacun donne son aumône, chaque fidèle priera pour lui. Le malade est alors conduit à une hutte isolée qu'on parsème de la terre du cimetière, et le prètre dit : "sis mortuus mondo, vivens iterum Deo" (meurs au monde, renais à Dieu). Puis, après une prière consolatrice, le prêtre plante une croix de bois avec un tronc pour l'aumône devant la maison et le malade est abandonné. A Pâques, les lépreux peuvent sortir quelques jours de leur tombeau, comme le Christ lui-même (ce qui bien sûr ne figure pas dans le rituel de l'ancien testament).
Cette exclusion du lépreux avait donc un double but : la prévention de la contagion et la rédemption du malade et de ceux qui vont l'aider ou prier pour lui. De nombreux rois : de FRANCE, dont Saint Louis; d'ANGLETERRE comme Henri IV, visitaient souvent les malades, les touchaient avec compassion et les soignaient.
Le lépreux est un paria, au même titre que les hérétiques et les juifs. La société ressent pour lui de l'effroi et en même temps de l'attirance. Le lépreux est à l'écart de la société, mais tout près, "à un jet de pierre" pour que la charité fraternelle puisse s'exercer sur eux. L'on se forge alors une bonne conscience à travers le soin qu'on leur donne et on projette magiquement sur eux tous les maux qu'on éloigne ainsi de soi.
Puis vont se créer les léproseries. Il y en aura jusqu'à 2000 en FRANCE au XIIIème siècle. Les plus pauvres n'y sont pas admis. Ce sont des mondes clos, parfois de vastes domaines très confortables avec des habitations individuelles. Les revenus de ces riches léproseries sont partagés avec les malades... et certains bien portants sont alors tentés de simuler la lèpre. Les très pauvres sont donc des mendiants errants aux portes des villes, les très riches continuent à vivre avec les gens sains.
Dès qu'il sort de la léproserie, le lépreux doit être porteur de ses attributs :
- costume spécial ou housse, avec capuche
- gants
- cliquettes de bois pour s'annoncer (à noter qu'à la même époque les juifs se signalent par leur insigne, la rouelle)
- une sébille, pour l'aumône
- un bâton pour ne rien toucher directement
- les "défenses"
C'est un conseil formé de lépreux et de médecins, et l'église en dernier recours, qui décide qui est lépreux; on est tenu de dénoncer un malade, mais on est excommunié si on dénonce à tort. Plusieurs ordres religieux se créent, certains exclusivement pour les lépreux (Saint Lazare à Jérusalem). Saint Catherine de Sienne, atteinte aux mains en soignant les "malades de Dieu", aurait été miraculeusement guérie.
La lèpre est donc une maladie terrible, elle fait peur et horreur. On peut donc conclure qu'au Moyen Age, devant la monstruosité de la maladie et l'inefficacité de la médecine, une seule attitude prévaut : l'exclusion et l'acceptation de la mort civile par le biais de la religion. L'endémie cessa au XIVème siècle, peut être parce que cela correspond au développement de la tuberculose et que le Bacille de Koch immunise plus ou moins contre le Bacille de Hansen (??). Toujours est-il que les léproseries se transformèrent en maisons de retraite ou en maisons de santé.
D. SUITE DE l'HISTOIRE...
D'EGYPTE la lèpre s'est propagée par continuité en ETHIOPIE et en Afrique Noire. Christophe Colomb va découvrir le nouveau monde, les relations s'installèrent alors entre vieux continents et nouveau monde. L'esclavage permit la propagation de la lèpre en Amérique, où elle devient plus ou moins endémique dans les régions pauvres de l'Amérique centrale.
Au XVIIIème siècle, Diderot traduit un dictionnaire universel de médecine d'origine anglaise. La maladie de Hansen nommée éléphantiasis des grecs est nettement séparée des autres dermatoses érythémato-squameuses, toutes regroupées dans le chapitre "lèpre". Il reprend la description d'ARETEE, insiste sur la masse sanguine visqueuse, presque coagulée. Il préconise les saignées, les purges (le sang est sale), et d'ôter la crasse avec du savon dans un bain, ce qui est nouveau. Il est critique sur les décoctions ou bouillons de vipères, pourtant fort prisées jusque là pour quantité de dermatoses.
Diderot insistait dans sa traduction sur le rôle de la malpropreté, de la misère, de la chaleur et de l'humidité. Il mentionne l'Ile Bourbon, Java, l'Amérique Méridionale comme des foyers, ainsi que Martigues en Provence. Il pense que la lèpre est transmise par l'usage de poissons dits "corrompus" ce qui expliquerait les cas de lèpre en NORVEGE, où on l'appelle Radesyge ou lèpre du Nord. Il reprend la description d'ARETEE et insiste sur l'association dépigmentation + anesthésie + taches/macules fauves comme premiers signes (la peau peut être piquée, coupée, brûlée sans aucun signe de douleurs), puis il décrit la formation progressive de tubercules. Il parle de libido "inexplebilis" soupçonnée chez les lépreux d'où le nom de satyriasis et met en doute cet argument. Il note la diminution progressive de la voix, l'atteinte des fonctions sensorielles, en particulier goût, odorat, vue. Il remarque probablement les réactions lépreuses (les tubercules rougissent, s'échauffent, parfois s'ulcèrent ou se gangrènent). Le terme de mort partielle (amputations spontanées) est repris.
Au XIXème siècle, la sémiologie s'affine. Gibert dans son traité pratique des maladies spéciales de la peau, en 1839, se pose des questions sur la contagiosité, ayant remarqué que la transmission entre époux était rare, et pense qu'elle est plutôt héréditaire. Schilling, médecin anglais, remarque, lui, que des enfant de lépreux élevés loin de leurs parents et dans de bonnes conditions d'hygiène ne sont pas atteints... et ne pas oublier qu'à l'époque on n'avait aucune idée de ce qu'est une bactérie.
Un grand pas en avant sera fait en 1874 par Gerhard Amauer Hansen, médecin norvégien, qui découvre à l'âge de 33 ans le bacille qui portera son nom.
En 1942, la découverte des premiers sulfones permet pour la première fois de s'attaquer à la lèpre. Cela sera rapidement suivi de l'ère des antibiotiques. Il y a néanmoins 11 millions de lépreux dans le monde, dans les régions intertropicales, surtout en INDE, en Afrique Noire, en Asie du Sud-Est et en Amérique Latine. | |
|
